En 1900, dans le pas de Calais, non dans le Nord comme écrit sur la jaquette du livre, entre Étaples et Le Touquet, Angèle fait partie de la communauté des sautières.
Les sautières, les moissonneuses de la mer dont elles parcourent le bord à marée basse, poussant un haveneau, filet tenu en un cadre de bois, pour attraper la crevette grise si convoitée, encore de nos jours.
L’haveneau n’a rien à voir avec l’épuisette que nous utilisions, enfants, pour jouer avec les crevettes et les petits crabes.
Il est large, environ un mètre, lourd, poussé par un long manche qui prend appui sur la poitrine pour utiliser la force des jambes et des reins.
Cathy a 14 ans.
Elle est fille de marin pêcheur.
Elle a choisi d’arrêter l’école, pour être une sautière, pêcheuse de sauterelles, les crevettes grises.
Qui a pêché ou acheté des crevettes vivantes savent qu’elles sautent comme des sauterelles ou des puces.
Cathy était maladroite, lors de son premier jour de pêche.
Pieds nus, attendris par l’eau salée, galvanisée par sa volonté de réussir, d’apporter sa quote-part au foyer, alors qu’il n’en avait pas besoin, son père étant patron de son bateau de pêche, elle s’arc-bouta contre le manche, glissa et s’étala de tout son long dans l’eau froide de la Manche.
Des larmes aussi salées que la mer montèrent en ses yeux.
Elle aurait renoncé si une voix rauque n’avait pas surgi dans son dos.
C’était une femme au visage buriné et ruisselant.
« Attends petite. Je vais te montrer. »
Cette sautière paraissait différente des autres.
« Comment tu t’appelles ? »
« Cathy Dumont. Mon père est le patron du St Charles. »
« Ah. Un bon bateau à ce que l’on dit. Celui qui le commande ne peut être qu’un homme sérieux, capable de se faire respecter. Moi, c’est Angèle. Mais on m’appelle la Crabesse ici ! Parait que j’ai les doigts crochus. Personne ne connaît mon nom à Étaples, sauf toi maintenant. »
Je ne vais pas citer tout le livre ni le réécrire.
On y découvre la vie de cette époque à Étaples, sa rusticité, beaucoup de sentiments, de ressentiments, des amitiés, des amours qui se nouent, des intrigues qui se dénouent.
La caudrière, ou chaudrière, notre bouillabaisse à nous. Elle n’est pas cuisinée avec des poissons de roche, noblesse réservée à la côte méditerranéenne, elle n’est pas non plus proposée à 60 Euros l’assiette comme à Marseille. Ce ne l’empêche pas d’être aussi bonne et conviviale.
On entre dans l’univers des pêcheurs qui n’étaient chez eux que le dimanche.
De leurs femmes qui venaient tous les matins au port pour transporter le poisson à la criée, poussant des charrettes en bois. Faisant du porte à porte sur le chemin de retour à la maison pour proposer leur poisson chez les gens aisés amateurs de produits frais.
Les familles étaient soudées, chacun prenant soin de l’autre.
Le dimanche, la marmite cuisait à petit feu sur la cuisinière, exultant des odeur de bœuf, de lard, de légumes, parce que les marins pêcheurs n’avaient mangé que du poisson durant la semaine.
En dessert, des pommes au four, caramélisées par le beurre et la vergeoise.
Les matelots arrivaient dans l’après-midi, pour la répartition des gains de la semaine.
Le partage était une coutume. L’équipage s’asseyait autour d’une grande table pour comptabiliser l’argent de la vente du poisson réalisée par la femme du patron, que ce soit à la criée ou chez les particuliers.
Y avait-il beaucoup de disparité à l’époque, en ce milieu, entre femmes et hommes ?
Il semblerait que non.
Monsieur travaillait dur, Madame aussi, semblait être respectée.
Ancien professeur de lettres à Lorient, Daniel Cario est un romancier prolifique.
Ses romans, campés en Bretagne (la trilogie du Sonneur des halles, Le Brodeur de la nuit), dans les Cévennes (L’Or de la Séranne), ou le Berry (La Miaulemort), sont publiés aux éditions Coop Breizh, aux Presses de la Cité dans la collection “Terres de France”, chez Beluga et au Rouergue. La Miaulemort a paru en 2010 aux Presses de la Cité.